Faire un feedback en entreprise grâce à la CNV
Dans un précédent post, je partageais mes convictions sur les vertus de la 'culture du feedback' en entreprise, pour le bien-être des collaborateurs autant que pour la performance des équipes donc de l'entreprise. J'évoquais que :
la Communication Non Violente est un outil particulièrement efficace pour pratiquer des feedbacks constructifs et efficaces
Dans ce post, je vais vous en dire un peu plus sur le processus de la Communication Non Violente (CNV) et vous expliquer comment l'utiliser pour exprimer des feedbacks.
Qu'est-ce qu'un feedback ?
Comme je l'évoquais dans mon précédent post, ce dont j'ai pu me rendre compte au fur et à mesure des nombreux ateliers sur le feedback que j’ai animés ces dernières années, nous n’avons pas tous la même définition.
Voici la définition générique que j'aime utiliser :
Le feedback est une information sur un comportement passée, donnée à l’instant présent pour influencer le comportement futur
Cela dit, avec cette définition, on peut imaginer plusieurs types de feedbacks.
J'en ai identifié 4 :
Le feedback relationnel
Le feedback d'amélioration
Le feedback d'évaluation
Le feedback de recadrage
Qu'est-ce que ces feedbacks ont en commun ?
Même si, en apparence, ces feedbacks semblent différents, ils ont en commun de s'appuyer sur l'intention et le processus de la CNV.
L’intention de la CNV, c’est de se connecter à soi et à l’autre pour prendre soin de la relation et privilégier la qualité de la relation au résultat qu’on en attend
Certaines personnes pourraient probablement me dire que le plus important au travail, c’est la performance … des individus, des équipes et donc de l’entreprise. Que le monde du travail ça n'est pas facile tous les jours et que la qualité des relations entre les gens n'est pas la priorité.
Pourquoi pas ? Mais pourquoi ne pas essayer de faire différemment ?
Pratiquer la CNV en entreprise, ça ne veut pas dire de ne pas se préoccuper du résultat mais être convaincu que le résultat sera à l'image de la qualité de la relation qui aura été créée dans les équipes
Par conséquent, si on est convaincu de ce postulat, qui est d’ailleurs démontré par de nombreuses études très sérieuses, la CNV nous invite à clarifier notre intention quand on interagit avec quelqu’un. Parce que si notre intention est avant tout de nous défouler, de critiquer ou juger l’autre, de vouloir changer ces comportements coûte que coûte ou encore de jouer au jeu de "j'ai raison, tu as tort", le risque est grand que cela ne prenne pas soin de la relation et donc au final du résultat.
Et quand on parle de l’entreprise, le résultat c’est l’efficacité et la performance de ses équipes.
A quoi servent ces différents feedbacks en entreprise ?
Le feedback relationnel
C’est le feedback dont le seul but est de prendre soin, voire même d’améliorer, la qualité de la relation qu’on a avec ses collègues.
Il consiste, d’une part, à exprimer à vos collègues toutes les appréciations pour les moments agréables que vous passez avec eux.
Si vous n’avez pas l’habitude de le faire, je vous invite à essayer. Vous serez peut-être surpris de voir le plaisir que ça procure à votre interlocuteur. Et vous n’êtes pas à l’abri que cette personne ait envie de continuer à faire la même chose (voire le faire encore plus souvent) pour contribuer encore un peu plus à une bonne qualité de relation et à la collaboration au sein de l’équipe.
D’autre part, il s’agit aussi d’exprimer à vos collègues, avec authenticité et bienveillance, vos retours à propos de moments moins agréables pour vous. L’intention en formulant votre expression authentique n’est pas de vouloir changer l’autre en lui signifiant qu'il a mal agi mais seulement de lui indiquer l’impact désagréable que ses propos ou actions ont eu sur vous.
L'être humain aime contribuer au bien-être des autres ... lorsqu'il en a le choix et qu'il n'y est pas contraint
Le feedback relationnel repose sur la conviction du postulat précédent et la confiance en l’envie naturelle de chacun d’entre nous de contribuer au bien-être des autres.
Le feedback d'amélioration
C’est le feedback qu’on se fait entre collègues pour avoir des retours, des conseils ou des avis afin d’améliorer la qualité d'un livrable (à l’occasion d’un dry-run ou de la relecture d’un document par exemple).
L'intention initiale est louable puisqu'il s'agit de promouvoir l'entraide entre collègues. Cependant, je suis triste de constater que nos habitudes de communication génèrent plus souvent de la frustration et de l’inconfort dans ces moments que de la joie et du soutien.
Je me souviens notamment d’une présentation faite par un collègue il y a quelques années. Après sa présentation, les retours négatifs se sont mis à pleuvoir. Parce qu’on a malheureusement presque tous la fâcheuse tendance à voir les choses qui ne vont pas plutôt que celles qui vont bien. Et on a l'habitude de les dire non pas en exprimant nos ressentis mais en énonçant notre point de vue comme la vérité.
Je me souviens de la réaction de ce collègue et ce qu'il nous a dit, avec beaucoup d’émotion dans la voix :
“J’étais content en terminant ma présentation parce que je pensais l’avoir réussi. Maintenant, après vos retours, j’ai l’impression d’avoir raté”
Et je suis d’autant plus triste aujourd'hui en y repensant que, d'après moi, il avait réussi sa présentation. Je suis triste que nous n'ayons pas eu la conscience et la clairvoyance pour voir le mal-être (voire la souffrance) que nos mots généraient chez notre lui.
La CNV nous invite à prendre soin de l’autre et à voir autant les choses agréables que celles qui le sont moins … et surtout d’exprimer notre point de vue non pas comme la vérité mais seulement comme notre réalité.
Le feedback d'évaluation
C’est le feedback qu’un manager ou un responsable d’équipe fait de manière régulière à ses collaborateurs ou aux personnes et prestataires de son équipe pour évaluer leur performance. Il est censé être le plus objectif possible et s’appuyer sur des observations concrètes et précises ce qui, finalement, est très proche du processus de la CNV. Cependant, la CNV nous invite à avoir du discernement et la conscience que l’émotionnel a un impact sur le rationnel. Ce qui signifie qu’il est en réalité extrêmement difficile de faire des observations qui ne soient pas teintées de nos interprétations. Et quand bien même vous y arriveriez, la CNV nous invite à vivre les relations avec plus de connexion et d’humanité et d’oser partager nos émotions.
Quand on y pense, on est des humains … pas des machines. On vit des émotions à chaque instant alors pourquoi faire comme si ça n’était pas le cas en les dissimulant
Le feedback de recadrage
J’ai envie de dire que c’est le feedback ultime, celui du rappel à l’ordre. Plus exactement celui du rappel à la règle, qu’elle soit une règle d’équipe, d’entreprise ou même plus largement une règle légale.
Certains pourraient penser qu’on pourrait se dispenser du processus de CNV puisque, aux yeux de la règle, aux yeux de la loi, il y a faute et qu’il doit y avoir sanction. Mais ça reste malgré tout un échange entre 2 êtres humains.
Est-ce que vos propres émotions, votre colère face à des comportements qui vous semblent inacceptables, votre peur face aux conséquences des actions répréhensibles de certaines personnes peuvent justifier une réaction blessante et qui ne prend pas soin de l’autre ? Je ne crois pas ou, en tout cas, j’aimerais que ça ne soit pas le cas.
La CNV ne croit pas aux vertus de la punition. Cela dit, pratiquer la CNV ne signifie pas tout accepter et être laxiste. Au contraire, la CNV c’est aussi être ferme sur ses valeurs et les règles auxquelles on croit pour affirmer avec assertivité ses limites et inviter l’autre à la prise de conscience des conséquences de ces actions et à la réparation.
En pratique, comment faire un feedback avec la CNV ?
Je voudrais maintenant vous expliquer comment le processus de la CNV peut aider à faire un feedback en l'illustrant par une anecdote qui m'est arrivée il y a quelques années au travail. J'ai fait le choix de prendre un exemple de feedback relationnel parce que c'est celui qui représente le plus les valeurs de la CNV auxquelles je crois et que j'aimerais voir se diffuser plus largement en entreprise.
Il y a quelques années, l’équipe dans laquelle j’étais (une cinquantaine de personnes), on travaillait tous dans le même open-space d'un vieux bâtiment ... et c’était bruyant.
Un matin, j'apprends qu'une partie de l'équipe a pris la décision, sans en parler au reste de l'équipe, de transformer une de nos salles de réunion en bureau et de s'y installer.
Ce que ça aurait donné sans la CNV
En découvrant ça, voilà ce qui aurait pu se passer … et vraisemblablement comment j’aurais réagi il y a quelques années, sans la CNV.
Je serais certainement directement aller voir les personnes de cette équipe pour leur dire quelque chose du genre : "C'est quoi ce bordel ! Vous vous croyez tout seul. Pour qui vous vous prenez pour décider de votre propre chef de squatter notre salle de réunion ?"
Si j’étais allé les voir pour leur partager mon point de vue, de cette façon, il est probable que ça n’aurait pas vraiment ouvert au dialogue.
Peut-être aussi que j’aurais pu me culpabiliser et me dire un truc du genre : “Je suis nul, même pas capable de créer de la collaboration et du dialogue dans l’équipe alors que c’est mon rôle”.
Si j’étais resté avec cette culpabilité, il est probable que ça aurait dégradé mon état d’esprit, ma motivation et mon efficacité à mon poste … et peut-être que ça m’aurait fait naître de la rancoeur ou du ressentiment envers eux.
Dans les 2 cas, le mode de communication que j’aurais utilisé aurait probablement dégradé la qualité de la relation.
Ce que la CNV m'a permis de faire
Au lieu de ça, j'ai fait le choix de clarifier mon intention vis-à-vis des personnes de cette équipe et d'utiliser la CNV qui nous propose de suivre un processus en 4 étapes pour clarifier ce qu'on vit dans une situation particulière pour, éventuellement, aller le partager aux personnes impliquées dans la situation. Il s'agit du processus OSBD :
O pour Observation : Qu’est-ce que j’ai observé factuellement pendant cette situation qui a eu un impact sur mon bien-être ?
S comme Sentiments : Comment est-ce que je réagis à ces observations ?
B comme Besoins : Lesquels de mes besoins ont été satisfaits ou non pendant cette situation ?
D comme Demande : Quelles actions concrètes qui pourraient contribuer à mon bien-être et satisfaire certains de mes besoins je peux demander ?
Au lieu d'aller voir le responsable de cette équipe pour exprimer mes préoccupations avec l'énergie du jugements et de la critique, j'ai pris le temps d'écouter ce que cette situation me faisait vivre pour ensuite lui exprimer que :
Observation : Christophe m’a dit que vous aviez décidé en réunion d’équipe de déménager vos bureaux dans notre salle de réunion commune
Sentiment : Je suis contrarié que l’ensemble de l’équipe n’ait pas été consultée
Besoins : J’aimerais de l’échange et de la collaboration dans l’équipe
Demande : Est-ce que ce serait OK pour toi qu’on planifie une réunion avant la fin de la semaine pour discuter de ce point et trouver une solution qui convienne à toute l’équipe ?
Et c’est ce qu’on a fait et on a pu trouver une solution qui convenait à tout le monde.
C'est pas un peu trop beau pour être vrai ?
En réalité, ça ne s'est pas totalement passé comme ça. Parce que l'expression authentique de vos ressentis et vos aspirations n'est qu'une partie de la CNV. Celle qui vous concerne, vous et votre colline. Mais que se passe-t-il sur la colline de l'autre ?
Si vous souhaitez créer des liens, de la connexion avec les gens, la CNV invite à écouter l'autre avant de s'exprimer ou être prêt à le faire quand l'autre va vouloir le faire en réaction à votre expression
L'écoute active est vraiment un point clé de la CNV. Et pour faire ça, la CNV propose d’utiliser l'empathie pour accueillir les messages difficiles et écouter et comprendre ce que l'autre vit.
“La plupart d'entre nous n'écoute pas avec l'intention de comprendre. Nous écoutons avec l'intention de répondre” (Steven Covey)
Ecouter pour comprendre est une posture clé que la CNV nous invite à avoir en toute circonstance. Et c'est d’ailleurs la posture que j'ai eu dans la situation dont je vous ai parlé précédemment. Je ne suis pas allé tout de suite voir le responsable de cette équipe et j’ai pris un temps pour moi pour clarifier ce que cette situation me faisait vivre. Grâce au processus de CNV, j’ai pu identifier ce qui était important pour moi. Ca m’a permis de m’apaiser et d’être ouvert pour aller écouter ce responsable et ses motivations.
Je l'ai écouté activement pendant plusieurs minutes qui lui ont permis d’exprimer tout l’inconfort que cette situation faisait vivre à l’équipe. Et puisqu’il a été apaisé par l’écoute que je lui ai offerte, il a été disponible pour m'écouter et accueillir mes préoccupations et mes besoins.
On a ainsi pris la décision de trouver ensemble une solution qui serait agréable pour la majorité des gens … et on a réussi.
Je suis convaincue que sans la CNV, cette situation n'aurait pas été résolue de cette manière. On n’aurait pas atteint le résultat qu’on a obtenu et on aurait certainement dégradé la relation au sein de l’équipe.
Qu'est-ce qu'il en est pour les autres types de feedback ?
Cette qualité d’écoute est, à mes yeux, aussi importante pour le feedback relationnel que pour les 3 autres parce que la CNV nous invite, à tout instant, à être attentif à l’impact de nos mots sur l’autre et à l’écoute de ce que ça lui fait vivre.
Pour le feedback d'amélioration, la CNV nous invite à être au service de l’autre pour être un soutien, pour l’aider à s’améliorer … mais surtout, pour répondre à ses attentes et ses besoins, pas aux nôtres.
Et dans l’exemple de mon collègue et de sa présentation dont je vous ai parlé, comme dans plein d’autres que j’ai pu vivre pendant mes 20 ans de carrière chez Airbus, on a fait exactement le contraire.
Pour le feedback de performance, c'est pareil. Même si les retours que vous pourriez faire à votre interlocuteur sont objectifs, justifiés, étayés voire même argumentés, ils auront immanquablement un impact sur celui qui les reçoit surtout si votre évaluation est plutôt négative.
La CNV invite à être prêt à accueillir le point de vue de l’autre et les émotions, agréables ou pas, que votre expression va générer. Et l’objectif n’est pas de déterminer qui a raison ou tort mais d’accueillir la réalité émotionnelle de chacun.
Là encore, je vous invite à essayer et vous serez surpris de constater qu’un même message a plus de chance d’être entendu et accepté si vous offrez à la personne qui le reçoit un espace d’accueil de ce que ça lui fait vivre.
Et enfin, c’est vrai aussi pour le feedback de recadrage. J’ai même envie de dire que c'est essentiel. Parce que l’intensité du message que vous allez faire passer augmente considérablement les risques de réaction émotionnelle.
Pour une raison simple, c’est que si la personne a fait l’acte que vous lui reprochez, c’est qu’elle avait une bonne raison, pour elle, de le faire. Même si l’acte est répréhensible, le besoin que cette personne cherchait à satisfaire en le faisant était légitime … comme tous nos besoins. Mon propos n’est pas d’excuser l’acte mais de le voir comme un stratégie maladroite, voire tragique, pour prendre soin d’un besoin important.
Ne pas être accueilli dans sa réalité augmente les risques de s’enfermer dans la soumission ou la rébellion et aucune de ses voies n’est bénéfique pour la relation et la coopération future
Pour conclure
Si vous aussi vous croyez aux vertus de la CNV et du feedback en entreprise, je vous invite à passer à l'action parce que, comme toute nouvelle compétence, ça s’apprend et se pratique régulièrement.
Vous trouverez plus d'infos ici pour passer à l’action pour découvrir, expérimenter et pratiquer le feedback.
Olivier Babando
Formateur certifié du CNVC (Center for NonViolent Communication)
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